Comment vous présenter les nouvelles orientations du Ministère de l’Éducation Nationale et Nouvelle Citoyenneté ? C’était la préoccupation qui taraudait mon esprit lorsque je suis tombée sur la publication de Tridia, qui travaille sur le sujet de recherche suivant : « La République Démocratique du Congo peut-elle se permettre de décoloniser son curriculum ? Analyse économique des réformes linguistiques et des contenus ». Dans son post, elle félicitait le Ministère pour la mise en ligne de nombreux documents sur nos sites web. La belle aubaine ! Voilà l’occasion pour vous expliquer comment, depuis juin 2024, nous avons enrichi le cadre politique et programmatique du ministère avec un portefeuille de réformes qui abordent simultanément l’offre, la demande d’éducation, la qualité, et la résilience du système.
Le socle stratégique : de la SSEF au Plan Quinquennal
La structuration du système éducatif congolais a débuté avec la Stratégie Sectorielle de l’Éducation et de la Formation (SSEF 2016-2025). Document de référence pour le secteur, elle a été élaborée de manière concertée et participative, impliquant plusieurs ministères de l’époque. Cette stratégie avait pour objectif de guider l’action gouvernementale et de coordonner les interventions sur une période de dix ans, en vue de bâtir un système éducatif inclusif et de qualité qui contribue au développement national, à la promotion de la paix et d’une citoyenneté démocratique active. Elle s’articule autour de trois axes principaux : l’accès (promouvoir un système éducatif plus équitable), la qualité (créer les conditions pour un enseignement de qualité) et la gouvernance (instaurer une gestion transparente et efficace). Pour atteindre ces objectifs, la SSEF se décline en programmes concrets, allant de la généralisation de la gratuité de l’enseignement primaire à la rénovation des programmes scolaires, en passant par le renforcement de la gouvernance (Système d’Information et de Gestion de l’Éducation – SIGE, redevabilité) et l’intégration de l’éducation à la paix et à la gestion des risques.
Si la SSEF a posé les fondations du système, l’entrée en fonction du Gouvernement Suminwa 1 en juin 2024 a marqué une accélération décisive dans la mise en œuvre des réformes, concrétisée par l’élaboration du Plan Quinquennal (2024-2029). Ce cadre directeur vise à transformer le système éducatif sous le signe d’une vision « inclusive, équitable, moderne et résiliente ». Il s’articule autour de cinq objectifs stratégiques majeurs : améliorer l’accès et l’équité à une éducation de qualité, renforcer le développement professionnel des enseignants et des inspecteurs, intégrer les technologies de l’information et de la communication (TIC), et promouvoir une nouvelle citoyenneté. Pour concrétiser ces objectifs, le Plan Quinquennal s’appuie sur cinq axes prioritaires clairs : la modernisation des infrastructures et l’équipement numérique, la révision des programmes scolaires et la formation continue du personnel, la rationalisation administrative et la coordination avec les Partenaires Techniques et Financiers (PTF), l’intégration des valeurs civiques, ainsi que l’usage de l’intelligence artificielle et le développement des compétences pour le développement durable. Cette transformation est soutenue par un financement diversifié (ressources publiques, appuis des PTF, et mécanismes innovants comme le financement participatif) tout en veillant à la rationalisation des dépenses. En substance, ce plan est un appel à l’engagement de toutes les parties prenantes pour réussir collectivement cette transformation.
Professionnaliser les acteurs : la formation continue
Dans la lignée du Plan Quinquennal, qui priorise le développement professionnel des enseignants, la Politique Nationale de Formation Continue des Enseignant(e)s du Secondaire (PNFCES) 2025-2029 a été élaborée comme un référentiel normatif et opérationnel. Cette politique érige la formation continue en un droit et une obligation pour le corps enseignant, avec pour objectifs d’améliorer la qualité des apprentissages, de garantir l’équité, d’adapter les compétences aux réformes et aux TIC, et d’harmoniser les pratiques à l’échelle nationale et provinciale. La PNFCES confie la mise en œuvre de cette stratégie à l’Inspection Générale, via le Service National de la Formation (SERNAFOR), tout en organisant une gouvernance à plusieurs niveaux qui encourage les partenariats. En professionnalisant le développement continu des enseignants, elle établit un lien direct et essentiel entre la formation, la progression de carrière et la qualité globale des apprentissages.
Améliorer l’accès et la qualité de vie des élèves : l’alimentation scolaire
Dans la continuité des efforts pour renforcer le système éducatif, le Plan Quinquennal ne se limite pas à la formation des enseignants. Il intègre aussi des initiatives clés pour l’amélioration des conditions d’apprentissage des élèves, comme en témoigne la Stratégie Nationale de l’Alimentation Scolaire (2025-2030) de la RDC récemment validée. Il s’agit d’un cadre multisectoriel. L’alimentation scolaire est considérée comme un levier essentiel pour améliorer l’accès à l’éducation, la rétention des élèves et leurs résultats d’apprentissage en garantissant un repas quotidien, sain et issu de la production locale. Le diagnostic opérationnel identifie les défis logistiques et la nécessité de financements stables, tandis que la stratégie structure les rôles de l’État et des partenaires (PTF, secteur privé) pour assurer la pérennité du programme et le contrôle qualité le long des chaînes d’approvisionnement locales.
Assurer la résilience du système : l’éducation en situation d’urgence
Dans le prolongement des axes de la SSEF 2016-2025, et en réponse aux défis récurrents de résilience et à la politique de prévention/gestion des risques, le Ministère a mis un accent particulier sur la protection du droit à l’éducation en période de crise. C’est dans ce contexte qu’a été élaborée la Stratégie de l’Éducation et de la Formation en Situation d’Urgence (SEFSU) 2025-2029. Ce document sert de feuille de route opérationnelle pour garantir la continuité de l’éducation, la protection et la qualité des apprentissages, même dans les contextes de crises. La stratégie repose sur trois grandes orientations claires : assurer la continuité et la protection (espace temporaire d’apprentissage, appui psychosocial) ; garantir la qualité et l’adaptation (ajustement des contenus aux réalités des crises) ; et enfin, renforcer la gouvernance et la coordination (planification et outils de Suivi & Évaluation). En institutionnalisant une capacité d’anticipation et de réponse éducative, la SEFSU « blinde » le système pour que les acquis des autres réformes ne soient pas remis en cause par les chocs externes.
Renforcer la gouvernance : la rationalisation des Bureaux Gestionnaires
L’ensemble de ces stratégies (PNFCES, Alimentation Scolaire, SEFSU) ciblent la qualité de l’enseignement, l’accès et la résilience du système. Pour garantir l’efficacité de ces investissements en amont, il est essentiel d’assurer une gouvernance administrative et financière solide, ce qui constitue l’un des axes prioritaires du Plan Quinquennal. C’est dans cette optique que nous avons accéléré une autre réforme structurelle majeure : la Rationalisation des Bureaux Gestionnaires. Un Bureau Gestionnaire (BG) est une structure qui assure la gestion administrative, pédagogique, financière et patrimoniale, de manière directe ou indirecte, des écoles publiques gérées par l’Etat (écoles non-conventionnées) et par les Confessions religieuses (écoles conventionnées). Leur rationalisation vise à transformer l’administration en un système plus cohérent, efficient et pleinement fonctionnel, impératif pour consolider la gratuité de l’enseignement primaire et assurer son extension future. Elle s’attaque aux problèmes causés par la prolifération non planifiée des BGs, source d’inefficacités, de chevauchements de tâches et d’un manque de transparence dans la gestion des ressources. L’objectif est clair : optimiser l’utilisation des ressources humaines et financières, clarifier les rôles et responsabilités, et mettre fin aux recrutements et affectations irréguliers qui alourdissent le budget de l’État et compromettent l’appui pédagogique aux écoles.
Pour concrétiser cette étape normative essentielle, le Ministère a établi des mesures réglementaires fortes en mars 2025. Ces textes (arrêtés) définissent désormais des critères de création rigoureux pour les Établissements Publics d’Enseignement et les Bureaux Gestionnaires, établissent une procédure stricte de validation à tous les niveaux de la gouvernance (mettant fin aux phénomènes d’enseignants Nouvelles Unités (NU) et Non Payés (NP)) et fixent les cadres organiques provisoires pour une meilleure maîtrise des effectifs du personnel administratif. En définitive, cette réforme de la Rationalisation constitue un levier fondamental pour une administration éducative plus performante et efficiente, garantissant la viabilité à long terme des autres politiques et contribuant directement à l’amélioration des résultats d’apprentissage pour tous les élèves.
Sécuriser le périmètre scolaire : les nouvelles procédures d’obtention des arrêtés
En plus de la Rationalisation des Bureaux Gestionnaires, le Ministère s’est attaqué à un autre foyer d’inefficacité et de corruption : la création anarchique d’écoles et l’obtention monnayée des arrêtés. Pendant longtemps, le phénomène des écoles fonctionnant sans statut légal, ou avec de faux agréments, a miné la crédibilité du système, et alourdi artificiellement les effectifs d’enseignants non payés (NP). Pour mettre fin à cette malsaine tradition et garantir que l’offre éducative soit à la fois légale et viable, le Ministère vient de publier un nouveau Manuel de Procédure de Création et d’Agrément des Établissements Scolaires Publics et Privés. Ce manuel instaure une démarche de transparence et de contrôle qualité intégrée au système réformé. Pour les établissements publics, par exemple, la procédure est désormais multi-niveaux et rigoureuse, nécessitant la validation successive du Comité Sous-Provincial, du Comité Provincial de l’Enseignement, du Comité Technique Provincial de Rationalisation (CTPR) et, enfin, du Comité Technique National de Rationalisation (CTNR). En subordonnant l’existence légale de toute école à ces mécanismes de validation clairs, le Ministère assure que seuls les établissements répondant réellement aux besoins de la carte scolaire et aux critères de viabilité (infrastructures, personnel qualifié, équipements) peuvent être créés. Cette réforme est le corollaire indispensable à la PNFCES (qui garantit la qualité des enseignants) et à la Rationalisation des BG (qui maîtrise les cadres organiques), car elle sécurise le périmètre même de l’éducation nationale contre la fraude et l’opportunisme.
Moderniser la certification : l’Examen d’État à l’ère du numérique
Pour que toutes les réformes précédentes — de la formation des enseignants à la sécurisation des écoles et des bureaux gestionnaires — portent leurs fruits, il est fondamental que l’évaluation et la certification finales soient incontestables et transparentes. C’est le rôle de la grande réforme de l’Examen d’État, qui intègre l’Intelligence Artificielle (IA) dans ses processus, concrétisant ainsi l’axe numérique du Plan Quinquennal. Cette modernisation s’est traduite par une transformation complète de la chaîne de valeur : l’adoption de l’IA et de centres de correction délocalisés a permis une correction rapide et équitable des épreuves, mettant fin aux longues attentes et aux spéculations qui minaient la confiance dans les résultats. En point d’orgue, la plateforme diplome.cd garantit désormais la mise à disposition d’e-diplômes sécurisés et numérisés. Chaque lauréat dispose d’un titre scolaire authentifiable en ligne grâce à la Blockchain, ce qui élimine définitivement le problème des faux diplômes et positionne l’éducation congolaise comme un système crédible et moderne sur la scène internationale.
Assurer la résilience et l’équité : l’Enseignement à Distance (EAD)
En complément de la modernisation de la certification et pour garantir que le droit inaliénable à l’éducation soit effectif pour chaque citoyen, le Ministère a officiellement institutionnalisé l’Enseignement à Distance (EAD). Cet acte fondateur a été formalisé par l’Arrêté N° MINEDU-NC/CABMINETAT/002/2025 du 03/02/2025, qui organise et encadre cette nouvelle modalité d’enseignement stratégique au sein du système national. L’EAD se positionne comme une solution essentielle pour les élèves confrontés à des difficultés de scolarisation en présentiel, ciblant ceux résidant dans des zones éloignées ou difficiles d’accès, les élèves en situation de handicap ou de maladie chronique, ou encore ceux affectés par des situations d’urgence, de crise ou de déplacement forcé. Conscient des réalités de la fracture numérique, le dispositif est résolument inclusif : les apprentissages sont délivrés non seulement via des plateformes numériques, mais aussi à travers des supports non connectés comme les émissions éducatives à la radio et à la télévision, ainsi que la distribution de cahiers d’apprentissage imprimés. Les Mesures d’Accompagnement de l’EAD viennent d’être publiées. Elles encadrent cette réforme qui assure que ces parcours d’apprentissage sont reconnus et certifiants, garantissant une qualité comparable à l’enseignement en présentiel et consolidant ainsi notre vision d’un système éducatif plus résilient et équitable.
Conclusion
C’est vrai, l’article est long ! Mais cette présentation détaillée de chaque document, chaque réforme était essentielle pour comprendre l’ampleur et la profondeur du virage stratégique opéré par le Ministère de l’Éducation Nationale et Nouvelle Citoyenneté depuis juin 2024. Loin d’être une simple addition de politiques isolées, ce portefeuille de réformes démontre une approche véritablement intégrée et systémique. Qu’il s’agisse de former les enseignants pour améliorer la qualité (PNFCES), de sécuriser les processus administratifs pour garantir la gouvernance (Rationalisation des BG et Arrêtés des Écoles), ou d’assurer la résilience face aux chocs (SEFSU et EAD), chaque action répond à un objectif clair du Plan Quinquennal. La numérisation, illustrée par la modernisation de l’Examen d’État et l’e-diplôme, n’est pas une fin en soi, mais le puissant levier qui rend cette transformation transparente, mesurable et durable. L’éducation congolaise est désormais dotée des outils juridiques et techniques nécessaires pour garantir l’équité, l’accès et l’excellence pour tous ses citoyens, construisant ainsi l’avenir du pays. Et le travail continu !
« Nous sommes l’éducation nationale, nous préparons l’avenir de nos enfants, nous construisons la nation ».
P.S. Veuillez noter que tous ces documents sont disponibles sur le site internet du Ministère et nos plateformes officielles. Nous vous invitons à les consulter et à vous les approprier.
Raïssa MALU
Ministre d’État, Ministre de l’Education Nationale et Nouvelle Citoyenneté